mardi 18 septembre 2012

Toujours, la foi débordera de la sphère privée

« La religion relève de l'intime, l'Eglise n'a pas à intervenir sur des questions de loi », lançait Anne Hidalgo, 1ère adjointe au maire de Paris, lors de l'émission Mots-croisés du 17 septembre dernier. Le débat du soir portait sur le mariage gay et l'homoparentalité. Quelques semaines plus tôt, c'est l'ex-ministre sarkozienne Roseline Bachelot qui s’irritait de l’immixtion de l’Eglise en la matière : « il est bien entendu légitime que les religions émettent des préconisations, mais dans une république laïque, celles-ci ne peuvent constituer une référence (…). Il convient donc de laisser les religions dans la sphère privée » (1). Paf, la messe est dite. Sans souffrir d’appel, la sentence revient chaque fois que l'Eglise ouvre la bouche, ses interventions étant de facto taxée d’illégitimité dès lors qu’elle ne se cantonne pas aux burettes et encensoirs. C’est à s'étonner qu'on ait pu lui reprocher certains silences en d’autres temps...


L'ouverture au Vatican du synode consacré à la nouvelle évangélisation, le 7 octobre prochain, devrait de nouveau faire frémir les chantres de la laïcité négative (vous savez, celle-là même qui dit qu’on a bien le droit de penser ce qu'on veut, pourvu qu'on le garde pour soi). Mais ne leur en déplaise, la religion n'est pas relégable au salon. Pourquoi ? Parce que lorsque l’on décide que la rue, le travail et tout autre endroit qui nous met en relation avec les autres, sont des lieux de vie et non de représentation scénique, on fait le choix de ne pas mettre de masque et de vivre en cohérence avec ses convictions. C’est bien d’unité de vie dont il est question ici. Ni espace public ou privé pour cadrer le raisonnement de l’homme honnête. Juste l’espace, un, dans lequel il est en droit d’évoluer sans avoir à se dédoubler. Droit dans ses deux baskets, et non à cloche-pied parce qu’il aurait été décidé que la chaussure gauche relève de la sphère privée et non la droite.

No limit

L’idée même de vouloir « laisser les religions dans la sphère privée » est une incitation à l’hypocrisie assumée. Elle est aussi la révélation d’une incompréhension autour de la notion de foi. « Que serait donc la foi si elle ne se traduisait pas au quotidien ? », s’interroge le blogueur Koztoujours, avant d’affirmer que « oui, un catholique et l’Eglise en général sont solidaires des hommes et femmes avec lesquels ils vivent (…). Alors ils se préoccupent de la marche du monde et leur foi irrigue leurs positions de citoyens, comme leurs convictions philosophiques et morales irriguent les positions des autres citoyens. De la même manière, et aussi légitimement ».

Qu’on se le dise une fois pour toute : on n’est pas croyant comme on adhère à un parti politique ou supporte une équipe de foot. La foi n’est pas qu’un acte de volonté, que le fruit d’une réflexion en vue d’un quelconque résultat. Elle est un don, « la rencontre avec Jésus-Christ, à la fois intime, personnelle, publique et communautaire » (1). Bref, ça ne s'explique pas, ça ne se limite pas non plus. « Le chrétien a son mot à dire, puisqu’il a un témoignage à rendre sur ce qui lui paraît être la vérité », résume le blog Totus Tuus.

En fait, la foi est liquide

Pour finir de défriser les partisans d'un laïcisme soviétisant, voici que Benoit XVI proclame une année de la Foi, afin de « mettre en lumière de façon toujours plus évidente la joie et l’enthousiasme renouvelé de la rencontre avec le Christ » (2). Quid de la sphère privée ? « Nous ne pouvons accepter que le sel devienne insipide et que la lumière soit tenue cachée », répond le Pape dans sa lettre apostolique (Porta Fidei, 11 octobre 2011). Il ajoute que « la foi opérant par la charité devient un nouveau critère d’intelligence et d’action qui change toute la vie de l’homme ». La foi fait de moi ce que je suis, et l’on voudrait que je ne mélange pas tout ? Mais tout mon être est, par définition, un joyeux mélange. Qu’on me laisse emmener ce fatras avec moi partout où je vais, si l’on veut que j’aille loin.

En conclusion, il faut bien constater que la sphère privée est trop étroite pour contenir la foi. A moins que ce ne soit la foi qui soit trop grande pour être contenue dans aucune sphère que ce soit. La foi est un torrent, un lac, un océan. En fait, la foi est liquide. Qu’on veuille la contenir en un récipient, elle transpirera par tous ses pores, s’étalant sur ses parois jusqu’à les recouvrir, ne laissant aucun doute sur son contenu. Laissez la stagner au tréfonds de votre sphère privée, cette eau finira croupissante. Au mieux, flaque de boue oubliée. Au pire, marais nauséabond. Agitez-là, alors elle débordera, eau vive et jaillissante, de ce vase trop étroit.

Pas d’autre choix, donc, que celui-là : croupir ou déborder. Notez que la démonstration fonctionne aussi avec le coup de la lampe sous le boisseau. A ceci près que cette dernière parabole touche plus à la mission qui découle de la foi : éclairer les pas des hommes. Pas de foi sans route ni cheminement. Sans doute l’inverse se vérifie-t-il aussi, ici où là... Notre République laïque excusera donc nos désirs de débordements, elle qui ne saurait se contenter de citoyens croupissants.



(1) selon les termes de l’Instrumentum laboris du synode sur la nouvelle évangélisation.
(2) Lire à ce propos le blogue des prêtres de Metz
Vatican II : objectif 50 ans.

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