mercredi 31 juillet 2013

Le baiser de Natan


Buenos-Aires, le 26 juillet 2013… Une gargote du quartier de Palermo… L’heure du déjeuner attire les habitués. Un vieux monsieur lit La Nación à côté de moi, devant une soupe fumante. Une grand-mère somnole sur une chaise, adossée au mur. Pendue au-dessus d’elle, la télé retransmet les informations du jour dans l’indifférence générale. Soudain, le plus célèbre des argentins (avec Diego et « la pulga », bien sûr) apparait à l’écran. Un bain de foule, à trois mille kilomètres de là : c’est el Papa Francisco, ce sont les Journées mondiales de la jeunesse, c’est Rio de Janeiro.

Mon voisin laisse tomber son journal et sa cuillère, les têtes se lèvent, la serveuse s’avance près du poste. Tous regardent les mêmes images qui tournent en boucle : un enfant d’une dizaine d’année, cheveux noirs et polo aux couleurs brésiliennes sur le dos, s’élance vers la papamobile. Le service d’ordre cherche à l’arrêter. A l’appel du pape, l’un des "gorilles" de sa garde rapprochée le porte jusqu’à lui. L’enfant s’accroche au cou du Saint-Père, qui l’embrasse affectueusement en retour. Echanges de mots et de gestes tendres, le garçon ne veut pas lâcher prise. Il éclate en larmes, d’émotion. La scène dure une trentaine de secondes, une éternité dans le protocole ! On le repose à terre, il envoie un dernier baiser de la main, il fait quelques pas seul, en sanglots, avant de retrouver les bras de son père. Les hommes de la sécurité lui caressent la tête, visiblement émus. La voix des commentateurs vibre. Autour de moi, il n’y a plus un bruit.

Derrière ma table en formica, je repense à Rome, à Toronto, à Cologne, à Madrid… J’ai été cet enfant en chacun de ces instants. Quelle intuition merveilleuse que celle de Jean-Paul II qui, instituant les JMJ il y a trente ans, a donné l’occasion à la jeunesse du monde de se blottir dans les bras de l’Eglise ! Et qui, en même temps, a offert à l’Eglise l’occasion d’embrasser cette jeunesse assoiffée. Celui qui a vécu de tels moments comprend les larmes que l’on y verse, car c'est un petit bout d’Absolu que l’on touche alors : l’expérience non pas de la communauté, mais de la communion des croyants. Fort de cette foi, on découvre la joie d'être fidèle au successeur de Pierre, en ce qu’il est pasteur, en ce que nous sommes troupeau.

Ainsi donc, cette année encore, à l’appel du pape, la jeunesse du monde est venue avec confiance se jeter au cou de l’Eglise-Mère, comme cet enfant au cou du Saint-Père… Des mots et gestes tendres sous le Corcovado, un baiser envoyé de la main. Des larmes de joie.

Ainsi donc, cette année encore, à l’appel de la jeunesse du monde, l’Eglise a ouvert ses bras et est devenue ce qu’elle est : universelle. A la suite de Jean-Paul II et de Benoit XVI, François, le « pape du bout du monde », s’est fait pape pour tous. Tu es Petrus, et l’audace innocente d’un petit garçon est venue rappeler la grande leçon de Tibériade !

La papamobile a poursuivi son chemin. La télé du restaurant argentin est passée à d’autres images ; la serveuse à d’autres commandes. A la table voisine, le vieux monsieur est retourné à son journal et à sa soupe, tiède maintenant. Moi, je suis resté avec le souvenir de ce petit garçon brésilien. J’apprendrai plus tard qu’il s’appelle Natan. Que dans ce moment privilégié, si fort en symbole pour l’Eglise, si porteur du mystère, Natan a confié au Saint-Père qu'il voulait être prêtre.

Recueillant ses larmes, l’homme en blanc lui a alors répondu : « maintenant, tu pries pour moi et moi, je prie pour toi ! »

Et la jeunesse du monde s’en est retournée chez elle.