mardi 11 octobre 2011

Cap sur Tortuga (une aventure haïtienne)




Près des quais bruyants de Port-de-Paix patientent les embarcations en partance pour l'île de la Tortue. La mythique Tortuga des histoires de pirates... Aujourd'hui les flibustiers ont désertés les côtes caribéennes, mais l'aventure est toujours au rendez-vous.


Après de rapides négociations sur le prix et la destination, les passagers s'entassent avec moi sur un canot sans âge, avant que nous sautions sur l'un des voiliers de la rade. A bord, trois petits mousses s’affairent aux cordages. Un jeune marin d'une vingtaine d'années, petit, massif et aux pieds semblant faits du même bois que le navire, tient la barre. Avachi dans les voiles, le capitaine, donne les ordres du départ. Tous affichent la même mine sévère des hommes de toutes les mers, n'usant de mots que pour l'utilité de la navigation. 


Le voilier semble un survivant d'une époque lointaine. Quel âge peut-il avoir ? Il ne semble guère différente des embarcations qui arpentaient les flots au temps des boucaniers. C'est une barque d'une dizaine de mètres de long, entièrement faite de bois et de cordes, dont le mat pointe vaille que vaille vers le ciel. L'eau s'infiltre entre les pierres lestant l'embarcation en fond de cale. "Rien d'anormal", assure le capitaine... Conçue pour flirter avec les côtes, le petit voilier se traine sur l'eau calme et bleue de ce jour sans vent. La grande voile, patchwork usé dessinant un grand triangle gris, peine à le faire avancer.

Je savoure sans effort cette traversée hors du temps, plongeant mon regard dans les eaux azurées des Caraïbes. Des poissons volants saluent notre passage. Le soleil des tropiques brule le pont râpeux.  Mes compagnons de voyages - tous haïtiens et coutumiers de ce voyage - ne semblent pas gouter aux mêmes plaisirs. Recherchant les rares coins d'ombre du bâtiment, ils pestent contre la lenteur du trajet, l'absence de moteur que de mon côté je bénie. 

Il faut dire que le temps passe lentement sur ce vieux voilier. Encore en vue, Haïti et Port-de-Paix se couvrent de noirs nuages. Face à la proue, l'île de la Tortue commence à dévoiler les détails de sa longue carapace. Les deniers rayons du jour se jettent sur elle et sur les nuques des passagers impatients. Il faut arriver avant la nuit.

Les petits mousses aux culottes déchirées affichent la même nonchalance que leur capitaine. Aussi tranquilles que leur bateau. A la barre, le marin aux pieds de bois semble maître du temps comme du cap. Il dévoile de temps à autre ses grandes dents blanches dans de francs sourires. Derrière lui, une longue ligne s'enfonce dans le sillage du bateau, à la recherche d'une occasionnelle pêche.

Bientôt trois heures que nous naviguons. On peut désormais compter les baraques disparates accrochées au flanc de l'ile. Soudain le capitaine prend la barre, marquant le début des manœuvres et la fin d'une interminable attente. Les matelots filent pomper l'eau des cales qui dégorge à présent sur le pont, pour retourner à la mer. L'un des mousses grimpe au mat avec une agilité déconcertante pour décrocher les voiles. Nous arrivons au port. Aucun poisson n'aura mordu à la ligne tendue par les matelots, mais pour la première fois depuis le début de la traversée, le capitaine s’est mis à sourire…

Article publié par Dièz & Bemòl

Photo : Les carnets de Jo

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