jeudi 2 juillet 2015

A la vie comme en vers, laisser dire et bien faire



Un caprice, un fantasme, une brise fantasque :
l’édito cette semaine dansera sur douze pieds,
empruntant la trame d’une morale célèbre
pour répondre aux critiques de nos libres cahiers.

Il était une fois, donc, dans une maison,
un brave garçon qui n’osait jamais rien dire
ni faire quoi que ce soit, soit par peur des soupirs,
des mauvaises critiques ou du qu’en-dira-t-on.

Un beau matin son père, pour lui faire la leçon,
l’envoya monter l’âne qui broutait le gazon.
Ensemble ils s’en allèrent s’exposer au village
aux regards des rupins et à leurs commérages.

« Voyez donc ce gamin freluquet, qu’ils jasaient,
voyant passer le cortège et ses trois acteurs.
Faut-il qu’il ait les jambes en coton pour voler
la place confortable à son vieux géniteur ! »
« Voilà bien la jeunesse, répondait un voisin,
insolente et sans gêne, ni soin pour les anciens ».

Rendu à la maison, le père interrogea
son gars pour savoir l’effet sur lui de l’affaire :
« dis, as-tu ouï ces vilenies à ton endroit ? »
« Oui mon père, fit son fils, et j’en ai bien souffert ».
« Bien, dit l’ancien, demain nous recommencerons,
mais c’est moi, cette fois-ci, qui monterai l’ânon ».

Ce qui fut décidé fut bien fait et alors,
à nouveau s’en alla parader l’équipage.
« Voyez ce vieil orgueilleux, cria-t-on de rage,
comme il est attaché à son propre confort :
il en laisse, c’est bien triste, la tâche à son moutard
de pousser fort aux fessiers l’âne cabochard ! »
Un autre en écho : « tels sont nos vieux à présent,
vaniteux et sans cœur pour nos pauvres enfants ».

Ils revinrent le lendemain, marchant nez au vent
aux côtés du baudet tout couvert de leurs lots.
Et toujours s’entendaient les murmures des gens :
« ont-ils si peu de pitié pour la pauvre bête,
qu’ils la mènent souffrante à trainer leur fardeau ? »

Le jour suivant, ils portèrent eux-mêmes leurs affaires,
laissant l’âne trottiner à dix mètres derrières.
« C’est misère que de les voir suer pour ménager
les flancs d’une bête juste conçue pour porter ! »

A toutes les fois et pour chaque circonstance,
les pics fusèrent sur eux, en sens et contresens.

« Comprends-tu la leçon ? », demanda le papa
à son fils assidu, la semaine finie.
« Ah dam oui, répliqua-t-il. Il n’est pas de choix
qui n’attire la critique et les mauvais esprits !
Quoique l’on fasse, il s’en trouve toujours au parloir
pour ne point l’apprécier et vous le faire savoir ».

Pas de quoi s’alarmer car ainsi va la vie :
c’est le prix à payer pour celui qui agit.

Est bien fou du cerveau, comme disait La Fontaine,
qui prétend contenter tout le monde sans peine !



Joseph Gynt
Edito publié sur les Cahiers libres, le 26 novembre 2013.

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