mardi 18 septembre 2012

Toujours, la foi débordera de la sphère privée

« La religion relève de l'intime, l'Eglise n'a pas à intervenir sur des questions de loi », lançait Anne Hidalgo, 1ère adjointe au maire de Paris, lors de l'émission Mots-croisés du 17 septembre dernier. Le débat du soir portait sur le mariage gay et l'homoparentalité. Quelques semaines plus tôt, c'est l'ex-ministre sarkozienne Roseline Bachelot qui s’irritait de l’immixtion de l’Eglise en la matière : « il est bien entendu légitime que les religions émettent des préconisations, mais dans une république laïque, celles-ci ne peuvent constituer une référence (…). Il convient donc de laisser les religions dans la sphère privée » (1). Paf, la messe est dite. Sans souffrir d’appel, la sentence revient chaque fois que l'Eglise ouvre la bouche, ses interventions étant de facto taxée d’illégitimité dès lors qu’elle ne se cantonne pas aux burettes et encensoirs. C’est à s'étonner qu'on ait pu lui reprocher certains silences en d’autres temps...


mercredi 5 septembre 2012

Calcutta ou la soif de Dieu


Le 5 septembre 1997, dans sa petite cellule de Calcutta, celle connue dans toute l’Inde sous le simple nom de « Mother » s’en retournait vers le Père. Mère Térésa de Calcutta, petit bout de femme de rien du tout qui, par sa vie offerte, en a transformé tant d’autres.

Quinze ans plus tard, à l’occasion d’un séjour dans « la Cité de la Joie », j'étais à genoux devant la tombe de la Bienheureuse. Je venais volontiers prier en sa compagnie avec d'autres volontaires, avant de rejoindre l'un de ses dispensaires où nous travaillions. Or, chaque matin s'accompagnait du même trouble : le sentiment d'inutilité, d'impuissance au regard de ce que fut sa vie. Consacrer mes pieds nus et mes mains fragiles à la misère humaine ?  Hors d'atteinte ! Pire, il m'était impossible de demander à Dieu qu'il m'en donne la force, sans craindre qu'il le fasse vraiment. Alors je priais pour qu'il m’ouvre au moins les yeux sur ma faiblesse et cet orgueil qui m’immobilise. Exiger qu’à l’école des pauvres, je sache m’oublier à leur cause et grandir, un peu, auprès d’eux. Ça oui, je le pouvais. Et chaque matin, la petite mère s’en allait dans son sari blanc à liseré bleu, porter ma piètre prière au Père.

On ne va pas à Calcutta pour sauver le monde. Mais pour se sauver soi-même. Si je vous décrivais ces séances de massages sur un jeune homme aux membres amputés, l’esprit fermé et les yeux sans joie, comprendriez-vous que c’était mon âme qui semblait être pétrie par des mains expertes ? Si je vous racontais mes efforts pour nourrir à la cuillère un vieillard alité, qui vivait alors ses dernières heures, arriverais-je à vous expliquer que c’était bel et bien moi qui m’en trouvais nourri ? Comment dire que l’on grandi aux tâches les plus simples offertes aux hommes les plus pauvres, de la toilette aux coups de balais, à la vaisselle des repas, à la lessive quotidienne… C’est la grande leçon de Mère Térésa : la découverte de la joie du service, en même temps que celle d’un Dieu qui saisit la chance de vous aimer.

Il y a une croix accrochée dans la chapelle de "Mother House", la maison-mère des Missionnaires de la Charité. A sa gauche est écrite la supplique du Christ agonisant : « I thirst ! »« J'ai soif  ». Cette soif n’est pas d'eau mais d'abandon amoureux, de sacrifice aussi. D’esprit brisé. Mère Térésa y voyait « le désir divin infini d'aimer et d'être aimé » : « tant que vous n'écouterez pas Jésus dans le silence de votre cœur, vous ne pourrez pas l'entendre dire "j'ai soif" dans le cœur des pauvres. Vous lui manquez quand vous ne vous approchez pas de lui. Il a soif de vous ! » De l’autre côté du crucifix est inscrite la réponse offerte par les sœurs : « j'étanche sa soif ».

On ne va pas à Calcutta pour sauver le monde, mais pour s’agenouiller au pied de la Croix. La meilleure place pour contempler le cœur de l'humanité. Humblement, à la mesure de nos yeux imparfaits, jusqu’à voir Dieu assoiffé dans ce jeune homme amputé ou ce vieillard au seuil de la mort - « le Christ dans un déguisement désolant ». Et lui donner à boire.

« Nous savons bien que ce que nous faisons n'est qu'une goutte dans l'océan, disait la Bienheureuse lors de la réception du prix Nobel de la paix, en 1979. Mais si cette goutte n'était pas dans l'océan, elle manquerait ! » Juste une goutte d’eau, petite et essentielle, pour étancher toutes les soifs.