mercredi 22 janvier 2014

Du journalisme et des journalistes #3 : la course à la rentabilité


« CHUTE DES VENTES ET DES RECETTES PUBLICITAIRES, déficits généralisés, plans de départs, cessions en rafales : la presse écrite française - nationale, régionale ou magazine - décline sans parvenir à redresser la barre grâce à ses investissements dans le numérique », constate l’AFP en ce début d’année. Une fâcheuse tendance que le monde de la presse peine à affronter. Aux difficultés économiques et technologiques s’ajoutent les caprice de certains acteurs, comme le distributeur Presstalis qui fait peser sur les journaux des coût très importants, ou encore La Poste, qui annonce une augmentations de ses tarifs alors même qu’elle ne veut plus couvrir toutes les campagnes.


Hausses de prix

Pour faire face, les principaux quotidiens français ont récemment décidé d’augmenter leurs prix de vente : + 10 centimes pour Libération et l’Humanité, + 20 centimes pour Le Figaro, + 90 centimes à 1 euro pour Aujourd’hui en France… Le Monde et Les Echos atteignent quant à eux la barre symbolique des 2 euros. « Il nous faut dégager des nouvelles ressources car nous avons besoin de créer de plus en plus une différenciation entre les contenus gratuits publiés sur internet, y compris nos propres sites », a justifié Marc Feuillée, président du Syndicat de la presse quotidienne nationale (SPQN). Les prix ainsi augmentés restent à peu près dans la même gamme que les équivalents à l'étranger ((Par exemple : 2,50 dollars (1,82 euros) pour le New York Times, 1,40 livre (1,69 euro) pour The Guardian, 2,5 livres (3,01 euros) pour The Financial Times, selon l’AFP.)), mais souvent sans atteindre leur nombre de pages…

Aides à la presse

Bien sur, le secteur bénéficie d’aides de l’Etat. La ministre de la Culture et de la Communication, Aurélie Filippetti, a annoncé en décembre dernier les données de soutien public à la presse écrite pour 2012. Dans le top 10 figurent 6 titres de presse quotidienne. En tête, Le Monde et Le Figaro, reçoivent chacun plus de 18M d’euros d’aides. Près de 12M pour Ouest France, puis autour de 10M pour La Croix, et Libération. A noter que pour Le Monde et Le Figaro, plus de 80% de leurs 18 millions d'euros octroyés sont des aides postales ou des aides aux tiers. ,
Ce système d’aide est aujourd’hui décrié. Dans un rapport publié en 2012, le député PS Michel Françaix avait déjà souligné les incohérences du système : « La France est le pays en Europe qui aide le plus sa presse : 11 % de son chiffre d’affaires vient de l’Etat. Et pourtant, la presse quotidienne est à l’agonie parce qu’elle n’a pas changé ses choix éditoriaux, ni remis en cause des outils de production et de distribution ! Elle a supprimé 30 % de journalistes en 30 ans en pensant que c'était la solution. Comme disait Edgar Faure, l’immobilisme est en marche, et rien ne pourra l’arrêter. » Parmi ses sévères reproches : « l’Etat soutient le portage, La Poste, et la distribution, via Presstalis. Il aide donc trois sources qui se concurrencent. C’est n’importe quoi, il faut choisir ! »
Le Gouvernement entend modifier l’orientation des aides à la presse sur un double objectif stratégique : d’une part « pour accélérer l’émergence de modèles économiquement viables sur Internet », et d’autre part pour « garantir l’accès de tous les citoyens, quelle que soit la forme de la presse, imprimée ou numérique, à une information diversifiée ». La priorité sera clairement accordée aux « projets mutualisés et technologiquement innovants », nous dit-on. Affaire à suivre.

Manne publicitaire

Quid de la publicité, qui a permis l’émergence d’une presse gratuite ? Edwy Plenel, cofondateur du site Mediapart, dénonce à ce sujet un double discours : « d'un côté, la presse a un coût, qui ne peut pas être nul pour celui qui la lit ; de l'autre, on impose la gratuité publicitaire car on considère que les gens ne veulent plus payer pour avoir de l'info, ce qui induit une logique destructrice pour le secteur. On privilégie l'info people, rapide, on ne relaie que les polémiques superficielles. On voit bien ici que la qualité de l'information produite n'est pas liée au support mais au modèle économique pour lequel on opte ».

Encadrée, la manne publicitaire demeure une solide alliée de nos journaux. Mais elle fond à vue d’œil.  Sur internet, elle demeure insuffisante. Tandis que certains cèdent à la panique, d’autres ont fait le choix de s’en passer. « La publicité a longtemps pu financer le “bon” journalisme, ce n’est plus le cas aujourd’hui, estime Laurent Beccaria, éditeur de la revue XXI. Pour attirer la pub, la presse a obéi à des logiques marketing, et s’est décrédibilisée. On a cru que la pub allait financer le Web. Mais aujourd’hui, sur le Web, les modèles qui fonctionnement, sont ceux avec abonnement : MediapartArrêt sur images... »

Encore faut-il avoir des contenus suffisants pour justifier le coût d’un abonnement. « Les gens ont faim de contenu de qualité », assure Laurent Beccaria. Alors autant sauter sur l’occasion ! L’historien de la presse Patrick Eveno rappelle à ce propos que le lecteur vote avec ses pieds : « il va au kiosque ou n'y va pas. Si on veut faire payer plus cher le papier, il faut vraiment en donner plus au lecteur ». La règle peut-elle aussi s’appliquer durablement aux contenus numériques ? La question reste en suspend, alors que se dessinent les nouveaux horizons de la presse d’information.

Joseph Gynt
Publié sur les Cahiers libres, le 22 janvier 2014.

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