NOUS NOUS APPRÊTONS À NE PAS COMMÉMORER UN TRISTE ANNIVERSAIRE. Le genre de date que l'on préfère oublier. Ces sombres événements que l’on dilue dans l’éclatante beauté des grandes causes...
C’était il y a 220 ans. Un 28 février. Aux Lucs-sur-Boulogne, petits villages de la Vendée militaire désignés pour subir les représailles des troupes républicaines. Dans les maisons, des vieillards, des femmes et des enfants. Il fallait économiser les cartouches. Alors, on massacra à la baïonnette. Il fallait aussi économiser les efforts. Alors, on enferma les survivants dans la chapelle Notre-Dame. Et on y mit le feu. Au total, 564 victimes dont une centaine avaient moins de sept ans. Aucune capture à se reprocher. Un soldat écrira, après la tuerie : « aujourd'hui, journée fatigante mais fructueuse. Pas de résistance. Nous avons pu décalotter à peu de frais toute une nichée de calotins. Nos colonnes ont progressé normalement ». Infernales colonnes.
Des Lucs à Soljenitsyne
Histoire ancienne, erreur de jeunesse, nous dit-on. Mais il n’est jamais bon de s’asseoir sur les morts d’hier. Surtout quand ils ont quelque chose à nous dire de la folie des hommes. Laquelle n’est jamais trop ancienne. « C'est le rôle de chaque génération de recueillir ce que la tradition détient de sages leçons, d'énergies accordées, pour en ensemencer les réalités futures », écrivait le vendéen Jean Yole. Sans nostalgie pour l’ancien régime, ni candeur pour le nouveau, gardons en mémoire les atrocités dont sont capables les hommes, au nom des causes qu’ils croient justes. Car ce mal peut frapper encore. La pire comme la meilleure des âmes, la pire comme la meilleure des causes. Pour peu que les idées prennent le pas sur la vie, comme elles aiment tant à le faire.
En 1993, l’écrivain russe Alexandre Soljenitsyne est venu inaugurer le mémorial des Lucs-sur-Boulogne. Il souligna à cette occasion combien toutes les révolutions (de la France à la Russie soviétique), sous leurs parures romantiques, « ruinent le cours naturel de la vie, annihilent les meilleurs éléments de la population en donnant libre champ aux pires ». A ceux qui cultivent le fantasme de la remise à plat, Soljenitsyne répond qu’il serait « bien vain d’espérer que la révolution puisse régénérer la nature humaine ». Avec lui, nous voulons croire que « l'effet social que nous désirons si ardemment peut être obtenu par le biais d'un développement évolutif normal, sans sauvagerie généralisée ». Même en ce siècle où les nouvelles révolutions se jouent sur le terrain de la pensée, « il faut savoir améliorer avec patience ce que nous offre chaque aujourd'hui ». Coups de baïonnette dans l’eau ? Qu’importe. Il en va de la cohérence de nos actions. Car il est une chose pire que la défaite : le reniement.
Joseph Gynt
Publication originale : Cahiers libres, 18 février 2014.