« Tout commence en mystique et finit en politique. Tout
commence par la mystique, par une mystique, par sa (propre) mystique et tout
finit par de la politique. La question, importante, n’est pas, il est
important, il est intéressant que, mais l’intérêt, la question n’est pas que
telle politique l’emporte sur telle ou telle autre et de savoir qui l’emportera
de toutes les politiques. L’intérêt, la question, l’essentiel est que dans
chaque ordre, dans chaque système la mystique ne soit point dévorée par la politique
à laquelle elle a donné naissance.
En d’autres termes il importe peut-être, il importe
évidemment que les républicains l’emportent sur les royalistes ou les
royalistes sur les républicains, mais cette importance est infiniment peu, cet
intérêt n’est rien en comparaison de ceci : que les républicains demeurent des
républicains ; que les républicains soient des républicains. Et j’ajouterai, et
ce ne sera pas seulement pour la symétrie, complémentairement j’ajoute : que
les royalistes soient, demeurent royalistes (…).
Notre première règle de conduite, ou, si l’on préfère, la
première règle de notre conduite sera donc, étant dans l’action, de ne jamais
tomber dans la politique, c’est-à-dire, très précisément, suivant une ligne
d’action, de nous défier, de nous méfier de nous-mêmes et de notre propre
action, de faire une extrême attention à distinguer le point de discernement,
et ce point reconnu, de rebrousser en effet à ce point de rebroussement. Au
point où la politique se substitue à la mystique, dévore la mystique, trahit la
mystique, celui-là seul qui trahit la politique est aussi le seul qui ne trahit
pas la mystique (…).
La politique se moque de la mystique, mais c’est encore la
mystique qui nourrit la politique même.
Car les politiques se rattrapent, croient se rattraper en
disant qu’au moins ils sont pratiques et que nous ne le sommes pas. Ici même
ils se trompent. Et ils trompent. Nous ne leur accorderons pas même cela. Ce
sont les mystiques qui sont même pratiques et ce sont les politiques qui je le
sont pas. C’est nous qui sommes pratiques, qui faisons quelque chose, et c’est
eux qui ne le sont pas, qui ne font rien. C’est nous qui amassons et c’est eux
qui pillent. C’est nous qui bâtissons, c’est nous qui fondons, et c’est eux qui
démolissent. C’est nous qui nourrissons et c’est eux qui parasitent. C’est nous
qui faisons les œuvres et les hommes, les peuples et les races. Et c’est eux
qui ruinent.
C’est pour cela qu’il ne s’agit point qu’ils nous regardent
comme des inspecteurs (comme eux-mêmes étant des inspecteurs). Il ne s’agit
point qu’ils nous examinent et nous jugent, qu’ils nous passent en revue et en
inspection. Qu’ils nous demandent des comptes, eux à nous, vraiment ce serait
risible. Tout le droit qu’ils ont, avec nous, c’est de se taire. Et de tâcher
de se faire oublier. Espérons qu’ils en useront largement. »
Charles Péguy,
Notre jeunesse, 1910
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