« Aussitôt après nous commence le monde que nous avons
nommé, que nous ne cesserons pas de nommer le monde moderne. Le monde qui fait
le malin. Le monde des intelligents, des avancés, de ceux qui savent, de ceux à
qui on n’en remontre pas, de ceux à qui on n’en fait pas accroire. Le monde de
ceux à qui on n’a plus rien à apprendre. Le monde de ceux qui font le malin. Le
monde de ceux qui ne sont pas des dupes, des imbéciles. Comme nous.
C’est-à-dire : le monde de ceux qui ne croient à rien, pas même à l’athéisme,
qui ne se dévouent, qui ne se sacrifient à rien. Exactement : le monde de ceux
qui n’ont pas de mystique. Et qui s’en vantent.
Qu’on ne s’y trompe pas, et que personne par conséquent ne
se réjouisse, ni d’un côté ni de l’autre. Le mouvement de dérépublicanisation de
la France est profondément le même mouvement que le mouvement de sa
déchristianisation. C’est ensemble un même, un seul mouvement profond de
démystication. C’est du même mouvement profond, d’un seul mouvement que ce
peuple ne croit plus à la République et qu’il ne croit plus à Dieu, qu’il ne
veut plus mener la vie républicaine, et qu’il ne veut plus mener la vie
chrétienne, (qu’il en a assez), on pourrait presque dire qu’il ne veut plus
croire aux idoles et qu’il ne veut plus croire au vrai Dieu. La même
incrédulité, une seule incrédulité atteint les idoles et Dieu, atteint ensemble
les faux dieux et le vrai Dieu, les dieux antiques, le Dieu nouveau, les dieux
anciens et le Dieu des chrétiens.
Une même stérilité desséché la cité et la chrétienté. La
cité des hommes et la cité de Dieu. C’est proprement la stérilité moderne. »
Charles Péguy,
Notre jeunesse, 1910
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