« Miles Christi, tout chrétien est aujourd’hui un soldat; le
soldat du Christ. Il n’y a plus de chrétien tranquille. Ces Croisades que nos
pères allaient chercher jusque sur les terres des Infidèles, non solum in
terras Infidelium, sed, ut ita dicam, in terras ipsas infideles, ce sont elles
aujourd’hui qui nous ont rejoints au contraire, ce sont elles à présent qui
nous ont rejoints, et nous les avons à domicile. Nos fidélités sont des
citadelles. Ces croisades qui transportaient des peuples, qui transportaient un
continent sur un continent, qui jetaient des continents les uns sur les autres,
elles se sont retransportées vers nous, elles ont reflué sur nous, elles sont
revenues jusque dans nos maisons. Comme un flot, sous la forme d’un flot
d’incrédulité elles ont reflué jusqu’à nous. Nous n’allons plus porter le
combat chez les Infidèles. Ce sont les infidèles épars, les infidèles communs,
diffus ou précis, informes et formels, informes ou formels, généralement
répandus, les infidèles de droit commun, et encore plus ce sont les infidélités
qui nous ont rapporté le combat chez nous. Le moindre de nous est un soldat. Le
moindre de nous est littéralement un croisé. Nos pères, comme un flot de
peuple, comme un flot d’armée envahissaient des continents infidèles. A présent
au contraire c’est le flot d’infidélité au contraire qui tient la mer qui tient
la haute mer et qui incessamment nous assaille de toutes parts.
Toutes nos maisons sont des forteresses in periculo maris,
au péril de la mer. La guerre sainte est partout. Elle est toujours. C’est pour
cela qu’elle n’a plus besoin d’être prêchée nulle part. Je veux dire en un
point déterminé. Qu’elle n’a plus besoin d’être prêchée jamais. Je veux dire à
un moment déterminé. C’est elle à présent qui va de soi, qui est de droit,
commun. C’est pour cela qu’elle n’a plus besoin d’être décrétée. Elle est
toujours. Elle est partout. Ce n’est plus la guerre de Cent Ans. C’est à
l’heure qu’il est une guerre de deux cents ou de cent cinquante et des années.
Cette guerre sainte qui autrefois s’avançait comme un grand
flot dont on savait le nom, cette guerre continentale, transcontinentale, que
des peuples entiers, que des armées continentales transportaient d’un continent
sur l’autre, brisée aujourd’hui, émiettée en mille flots elle vient aujourd’hui
battre le seuil de notre porte. Ainsi nous sommes tous des îlots battus d’une
incessante tempête et nos maisons sont toutes des forteresses dans la mer.
Qu’est-ce à dire, sinon que les vertus qui alors n’étaient requises que d’une
certaine fraction de la chrétienté aujourd’hui sont requises de la chrétienté
tout entière. »
Charles Péguy,
Clio, posthume
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